Rue du Rêve.

 

"Je n'étais pas très bon élève / Et je suis mauvais citoyen
Mais j'ai ma chambre rue du Rêve / Et mon bureau rue des Copains."


Chaque jour, c'est le refrain que je fredonne en me rendant à mon bureau pour y écrire mes histoires.
Au début, quand je m'y suis installé, nous étions quatre : moi bien sûr, Madame Giban (une charmante dame que je connais bien mais dont je n'ai pas encore réussi à vous parler) ; Antonio, un gangster qui a le sens de la famille et Dar, un extra-terrestre dont je ne sais toujours pas exactement à quoi il ressemble.
Et puis il a fallu se mettre au travail. Mais par où commencer ?

Pour formuler une idée que l'on a dans la tête, il faut d'abord imaginer des situations dans lesquelles on a besoin de raconter quelque chose à quelqu'un qui vous écoute. La personne vous regarde : qu'avez-vous à lui raconter ? pourquoi ? sous quelle forme ?
C'est un véritable métier qui peut prendre des formes diverses et variées. J'ai donc fait appel à quatre camarades qui m'ont proposé des manières très différentes de s'exprimer et de raconter des histoires :
- Giorgio, un conteur à la voix forte, un peu prétentieux mais d'une efficacité redoutable ;
- Sami, un jeune garçon un peu timide qui écrit pour essayer de plaire aux filles de sa classe ;
- un vieux grand-père venu de loin, soucieux de transmettre sa mémoire à ses petits-enfants ;
- Maxence Hébert, un noctambule qui joue les guides pour des voyages aux frontières du réel.
Une fois cette petite équipe installée autour de moi, les personnages ont commencé à se multiplier au point de se bousculer entre les murs de mon petit studio.
Se bousculer... Encore faut-il éviter de marcher sur les pieds d'Antonio. Mais maintenant, à chaque fois que je le croise, il me parle de son neveu Richard (le type, là-bas, qui se tient la mâchoire), de sa femme et de ses enfants.
De la même manière, Dar s'est trouvé une jolie (enfin bon...) compagne appelée Liki et, apparemment, ils auraient déjà des projets de voyage ensemble.
Ensuite, certains personnages prennent plus de place que d'autres... comme l'Empereur du Japon qui se plaint constamment qu'il n'y ait pas d'autre pièce pour loger sa suite. Son fils, lui, a préféré rejoindre les autres adolescents qui se sont regroupés près du frigo.
Il y a là Andy, Michael et Eddy qui n'ont pas l'air d'avoir la conscience tranquille mais aussi Tom et Scipion qui ne se parlent pas mais n'en pensent pas moins. Tiliana raconte des choses bizarres sur des monstres souterrains pendant que Sami et Sabine, eux, ne font que parler de leur famille. Chacun ses mystères...

En fait, le principal problème de mon studio-bureau, c'est qu'il n'y a qu'un seul ordinateur pour tout le monde. Pour qui ?
Pour moi, bien sûr, mais imaginez un peu les discussions sans fin entre un gamer obsédé par ses vies parallèles pleines d'actions et de fureur et un hacker persuadé de pouvoir décrypter les secrets qui gouvernent le monde. Ajoutez à cela les navigations interminables du jeune Arnold... mais bon, pour l'instant, il est endormi sur le canapé.
Sans compter les moines... Il y a d'abord un copiste bénédictin qui, s'il ne comprend rien à l'informatique, a besoin du bureau pour étaler ses parchemins et rédiger ses souvenirs. En attendant son tour, il s'est lié d'amitié avec un maître-zen qui, lui, s'est carrément mis à écrire sur les murs.
Le coin cuisine aussi est très encombré. A côté des adolescents, la police s'est installée près de la machine café... Pinter Zymot et Aziz Boujéma semblent observer tout le monde pendant que la jeune Odesa reste prête à intervenir. Il y a aussi un dénommé Jonathan, bardé d'arbalètes et de gousses d'ail, en train de discuter avec l'officier Howard, un ancien de la brigade criminelle, qui lui explique qu'il va commettre un grosse erreur...
Au centre de la pièce, Giorgio, une bouteille à la main, commence à vociférer ses histoires de marins entrecoupées par ses propres grossièretés et les sifflets d'Ortega. Le jeune trouvère aussi demande la parole pour raconter ses propres légendes... tout cela va mal finir, c'est sûr. Quand j'en ai assez de cette cacophonie, je vais prendre l'air à la fenêtre mais, là encore, il faut sans cesse jouer des coudes pour avoir sa place : Hilàn et maître Eroan scrutent les étoiles en réfléchissant pendant qu'Éric attend de voir passer les avions en soupirant...

Qui reste-t-il ? Eh bien, autour de la petite table, on peut facilement imaginer les jeunes couples racontant joyeusement leur première rencontre : Matthias et Leila sur les bancs du collège à Marseille, Guirao et Ocaris sur les bancs de l'auberge à Ittirit, Richard et Caroline sur les pistes de la station service au nord de Clermont-Ferrand. Derrière eux, un vieux magicien prénommé Bedren regarde bizarrement les portes de l'armoire coulissante et un autre vieillard balance des coups de canne en demandant qu'on lui laisse une place pour s'asseoir...
Emma sort des toilettes toute ruisselante en disant qu'elle a vu un monstre. Le grand-père venu de loin attend, près de la porte, l'arrivée de ses epoï. Quelqu'un sonne : "Qui est-ce ? Bonjour, je m'appelle Dominique. Qui c'est celle-là ? ou celui-là... Maxence, c'est pour vous ! Bonjour, cher(e) ami(e)."
"Ortega, ferme-là !"
"Jonathan, lâche cette arbalète !"
"Non, inspecteur, je vous dis que ce n'est pas moi !"
"Je n'ai pas encore fini ma partie !"
"Je vous jure que je l'ai vu !"
"Mais si, ils existent !"
"Attention derrière toi !"
"Je t'ai déjà dit que je ne suis pas docteur !"
"Vous êtes sous mon pouvoir !"
"Aïe, ma dent !"
"Ne te mêle pas de ça !"
"Je ne veux plus y retourner !"
"C'était tellement horrible !"
" Mais puisque je vous dit que ce n'était pas moi !"
"Ortega !!"
"Mais si, c'est de ta faute !"
"Arrête de poser des questions stupides !"
"Tu m'as menti depuis le début!"
"Taisez-vous quand je parle !"
"Reviens ici tout de suite !"
"Ils nous attaquent !"
Sincèrement, comment voulez-vous travailler efficacement dans une telle ambiance ? Au début, il suffisait d'éteindre la lumière pour souffler un peu et réfléchir tranquillement mais maintenant, à la moindre occasion, les Aroks et la Dame Blanche en profitent pour revenir me voir...

 

Bon, ça suffit pour aujourd'hui. Je reprendrai tout ça demain.
Même lieu, même heure... Souhaitez-moi bonne chance !