HB Blog 28 décembre

"Cette fois, je pense avoir vraiment touché le fond du trou. Je suis collé à cette machine. Je ne sais même plus ce qui se passe autour de moi. J'attendais ces vacances avec tellement d'impatience pour échapper un peu à tout ce bordel. La famille, le lycée... j'ai envie d'être seul. De m'enfermer dans mon univers.
Il y a deux semaines que j'ai vaincu le niveau Prométhée. Un vrai triomphe. J'ai connu dans cette aventure les émotions les plus merveilleuses. Celles que je ne rencontrerai sûrement jamais dans cette vie de merde. La victoire. La reconnaissance. La puissance. Être quelqu'un.
Quand j'éteins la console, redevenir personne me semble de plus en plus insupportable. Qu'est-ce que je deviendrai quand l'ultime partie sera terminée ? Il faudra sans doute que je trouve un autre jeu.
Pour l'instant, j'ai entamé (avec une certaine fierté) le sixième et dernier niveau : Sisyphe.
Au début, je ne comprenais pas vraiment le sens de cette partie. Quelques bribes d'aventures. Quelques énigmes. Et des combats. Beaucoup de combats. A un moment, j'ai même cru que j'étais revenu au niveau Hercule. Beaucoup d'action, de vitesse mais pas beaucoup de sens.
Peu à peu, j'ai compris que, en fait, je revivais par courtes séquences toutes les scènes que j'avais traversées dans les niveaux précédents. Tous mes ennemis, tous les défis que j'avais dû vaincre se présentaient à nouveau devant moi à une vitesse impressionnante.
Autre particularité de ce niveau : il est impossible de sauvegarder une partie !! Toute partie interrompue ou perdue doit être recommencée depuis le début. Et, à chaque fois, ces scènes qui me reviennent sans ordre apparent.
De plus, pour démarrer le niveau Sisyphe, le logiciel demande l'autorisation de fermer les accès aux parties précédemment enregistrées. J'ai validé la demande sans trop réfléchir et, depuis, je ne peux plus revenir aux anciennes parties que j'avais conservées dans les cinq niveaux précédents. Ça, je le regrette de plus en plus.
J'aimais beaucoup revivre certaines scènes, notamment dans le niveau Orphée ou Oedipe. Avec ce jeu, le temps passait trop vite mais il m'offrait la possibilité de revenir sans cesse en arrière pour profiter à volonté de mes émotions préférées. Encore un avantage que ne propose pas la vie réelle où le temps est plus long mais linéaire : on se souvient mais on ne revient jamais en arrière.
Je suis désormais coincé dans le niveau Sisyphe mais le challenge proposé est peut-être le plus beau de tous. La clé de sortie que j'espérais de plus en plus.
En fait, comme je ne comprenais pas le sens de ce sixième jeu, j'ai déposé un message sur le site du fabricant de la console. Il m'ont ensuite demandé certains codes prouvant que j'avais bien franchi les cinq premiers niveaux. Et j'ai reçu une explication complète.
En fait, derrière chaque partie connectée à Internet, il y a un ou plusieurs programmeurs : des personnes chargées de récolter les données (images, photos, paramètres...) envoyées par le joueur et de modifier la partie en fonction de ces données. Ensuite, le logiciel personnalise le scénario de chaque niveau en fonction du joueur.
Or, vaincre Sisyphe, qui consiste à franchir à nouveau les étapes des cinq niveaux précédents, permet justement d'accéder au statut de programmeur. Cela signifie non seulement que l'on est maître de l'univers que l'on s'est créé au fil des parties mais aussi que l'on peut-être engagée par le fabricant du jeu pour programmer les parties des autres joueurs ! Et j'ai pu lire, en effet, que la société qui commercialise ce nouveau type de console est en expansion mondiale et recrute des programmeurs dans tous les pays du monde.
Voilà la réponse que j'attendais ! Ne pas redevenir personne après la partie : devenir un programmeur. Un créateur d'univers ! Avec tout ce que j'ai emmagasiné comme centaines d'heures de jeu, je n'aurai aucun mal à guider d'autres parties.
Depuis, je reçois même régulièrement des mails de l'éditeur du jeu pour m'encourager et poursuivre mes efforts : ils pensent que j'y suis presque !!
Et, pourtant, je n'y arrive toujours pas. A chaque fois, je perds ou mes parents m'obligent à éteindre la console. Depuis le début des vacances, j'y passe la quasi-totalité de mes journées et une bonne partie de mes nuits. J'avance mais je n'atteins jamais le but. Et les séquences reviennent. Certaines que j'ai déjà vues des centaines de fois. D'autres que j'avais oubliées. Il y en a que j'ai vraiment du plaisir à revivre mais d'autres, que je connais par coeur, me donnent presque envie de vomir. Mais ce n'est pas moi qui décide. Pas encore. Devenir programmeur...
Là, en ce moment même, je fais une pause (à mes risques et périls) dans une partie que j'ai démarrée voilà plus de trois heures. Je suis épuisé mais je pense que je touche presque au but. Ce serait merveilleux d'y arriver aujourd'hui...
Mes parents m'appellent. Ça doit même faire plus d'une demi-heure qu'ils m'appellent. Je ne leur réponds même plus. Qu'ils aillent... Non ! Quelqu'un tape à ma porte ! Ils vont vouloir me faire arrêter ! "Non ! pas maintenant", "Pourquoi ?", "Non !", "Pourquoi ? Parce que sinon... IL FAUDRA TOUT RECOMMENCER !!!"

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