Lundi, 7h50.

Alors qu'il poussait la porte du commissariat, l'inspecteur Zymot réfléchissait déjà aux premier éléments de l'affaire qui allait sans doute l'occuper les jours suivants.
Comme il le faisait régulièrement, il avait consulté avant de partir la messagerie de son téléphone de service sur laquelle l'officier de garde avait résumé les événements survenus pendant la nuit. L'affaire principale de ce lundi matin concernait des adolescents, elle avait donc de fortes chances de lui être confiée... Effectivement, les premiers procès-verbaux avaient été posés sur son bureau. La journée pouvait commencer.
En substance, le message décrivait brièvement un "cambriolage qui a mal tourné au 36 de la rue Delhomme. Trois adolescents ont pénétré sans effraction apparente dans l'appartement d'une certaine Mme Autard, âgée de 68 ans. La vieille dame a été retrouvée inconsciente, violemment frappée à la tête, alors que l'appartement n'avait apparemment pas été fouillé : aucun tiroir ouvert, pas de papier ni d'argent dérobé. Le commissariat a été prévenu, ce lundi matin vers 3h10, par un voisin qui partait travailler et qui a vu la porte de l'appartement restée ouverte. On sait déjà que l'agression a eu lieu cette nuit vers 0h30 car les enfants ont été filmés par au moins deux caméras de vidéosurveillance : l'une dans la rue Delhomme, l'autre dans le hall même de l'immeuble. Les images, très parlantes, ont été récupérées auprès de la police municipale : elles permettent de voir assez distinctement les visages des trois agresseurs... Mme Autard a été emmenée à l'hôpital, toujours inconsciente et, selon le médecin urgentiste, dans un état très préoccupant. Voilà... une affaire tragique mais les agresseurs ont laissé pas mal de traces derrière eux. Bon courage. "
Effectivement, dès 8 heures, Pinter Zymot avait parcouru un premier rapport de 3 pages, un bilan médical ainsi qu'un CD-Rom portant le sigle de la police municipale.
Assis à son bureau, il regarda une première fois les images sur son ordinateur puis il réfléchit aux priorités qui l'attendaient au début de cette nouvelle semaine. Il appela le bureau du commissaire et demanda la permission de traiter en priorité l'affaire de la rue Delhomme et d'y consacrer toute sa matinée. C'était un cambriolage de gamins qui avait mal tourné ; un coup prémédité, sans aucun doute, mais mis au point par des débutants qui démarraient bien mal leur carrière de malfaiteurs...
En intervenant rapidement, avec les éléments dont il disposait déjà, Zymot pensait que l'affaire pourrait se révéler assez simple à traiter.

 

Une fois obtenue l'autorisation de remettre à plus tard ses autres affaires, Zymot ré-examina plus attentivement les quatre séquences d'images. Les deux premières avaient été prises depuis une caméra municipale, placée sur un réverbère, à l'entrée de la rue Delhomme : même de nuit, la qualité était bonne mais l'angle ne permettait pas de distinguer les visages sous les casquettes des trois jeunes gens... On les voyait d'abord arriver dans la rue à 0h23 et passer tranquillement sous le réverbère. A 0h34, ils repassèrent sous le réverbère, beaucoup plus agités qu'à l'aller.
Les deux autres séquences, par contre, étaient le pain bénit de l'enquêteur : les images avaient été prises à hauteur de visage par un mouchard placé dans l'interphone de l'immeuble et en couleurs, s'il vous plait, grâce aux lumières automatiques du hall d'entrée. C'était ce que Zymot appelait "le bonheur de travailler au XXIème siècle".
Sur ces images, les trois visages s'affichaient en gros plan, sans aucune précaution de camouflage. Deux d'entre eux étaient parfaitement identifiables, le troisième beaucoup moins car il restait de dos ou de trois-quarts par rapport à la caméra. Pour Zymot, il s'agissait de visages inconnus. En deux ans dans ce commissariat où il avait traité la plupart des affaires concernant des mineurs, il lui semblait bien n'avoir jamais vu l'un de ces garçons. Il faudrait donc commencer par les identifier.
En tous les cas, si ces cambrioleurs n'imaginaient pas être filmés, ils connaissaient bel et bien le code d'accès à l'immeuble : 0h24, l'un d'entre eux s'approche de l'interphone, tape le code, ouvre la porte, et les trois garçons disparaissent rapidement dans le couloir. A 0h33, la porte s'ouvre violemment, les trois garçons ressortent en courant et retournent dans la rue.
"Moins de dix minutes..."
Que s'était-il exactement passé entre 0h24 et 0h33 ? Les premières constatations faites par une des équipes de nuit permettraient sans doute de le reconstituer facilement... Mais il fallait d'abord identifier les trois agresseurs et les appréhender au plus vite : à 8h20 du matin, ils devaient être encore sous le choc de ce qu'ils avaient vécu.
Vue la manière dont ils avaient quitté l'immeuble du 36 rue Delhomme, sans rien emporter, ils ne s'étaient pas préparé à commettre une agression violente. Un petit cambriolage qui avait mal tourné et qui, selon l'état de la vieille dame, pourrait malheureusement se transformer en affaire criminelle...

Le bilan médical de Mme Autard parlait "d'un seul coup porté violemment sur le crâne avec un objet contondant" et le rapport de police parlait d'un chandelier décoratif, en bronze, abandonné dans le couloir de l'appartement, à deux mètres du corps. Ils étaient partis en laissant la porte ouverte, ce qui avait permis à un voisin, un commerçant qui partait travailler vers 3h du matin, de se rendre compte de la situation et d'appeler le commissariat.
D'après l'expérience qu'il avait des crimes et délits commis par des adolescents, Pinter Zymot imaginait que les trois gamins devaient être dans un véritable état de panique : persuadés d'avoir commis un meurtre et d'être traqués par tous les services de police du monde... Après un acte grave, il savait que la paranoïa qui s'emparait généralement des enfants les rendait faciles à repérer. Mais il savait aussi que, face à une accusation, leurs réactions pouvaient être complètement imprévisibles et contradictoires.
Avant de quitter le commissariat, il décida quand même de prévenir par téléphone le docteur Boujéma, un psychologue agréé par la police nationale et avec lequel il entretenait de très bonnes relations, pour lui présenter brièvement l'affaire. Peut-être accepterait-il de se rendre disponible après ses consultations pour venir l'aider à interroger les trois jeunes cambrioleurs-agresseurs.
"Allô, Aziz ? Je pourrais avoir besoin de toi aujourd'hui, en fin d'après-midi..."

 

Lundi, 8h30