Dragons et Magiciens 7
Le lendemain matin, Guirao prit un peu plus de temps pour parler avec Ocaris.
Elle avait eu à peu près les mêmes visions que la veille : le Palais, le donjon, des formes indistinctes ressemblant à des rats qui se faufilaient... Rien, en tout cas, au sujet des négociations qui allaient s'ouvrir.
Et puis ils parlèrent du futur enfant. Ils en étaient heureux tous les deux mais d'autant plus inquiets de savoir ce que l'avenir leur réserverait... Si les négociations échouaient, que se passerait-il ? Et si elles aboutissaient ? Ils auraient atteint leur but, mais ensuite ? Comment le nouveau Prince gouvernerait-il ? Et eux, accepteraient-ils de rester à son service ? Où pourraient-ils aller ? Guirao continuerait-il son métier de soldat ?
" Nous ferons en sorte que notre bébé naisse en sécurité au Palais. Après, nous verrons bien."
C'était une longue journée de discussions qui s'annonçait. Réunie dans la salle du Grand Conseil, chaque partie proposerait à tour de rôle un traité qui permettrait de garantir une paix juste et durable entre les deux peuples.
Ensuite, les négociations commenceraient pour accorder le plus possible les deux propositions.
Comme lors du repas d'accueil, Guirao fut autorisé à rester dans la salle du Grand Conseil mais pas à la table des discussions où Bedren et Zonthar se faisaient face. Il pourrait observer à sa guise mais il ne serait pas autorisé à prendre la parole. Il ne pourrait s'entretenir avec Bedren que lors des interruptions.
Ocaris, elle, aurait fort à faire avec les tâches régulières du Palais auxquelles s'ajoutait l'entretien de l'importante délégation Atlans qui, pour la plupart de ses membres, n'avait aucune fonction ou utilité particulières.
Dès que les portes furent fermées, la réunion put commencer.
Tout d'abord, Bedren fit un exposé clair et direct des conditions qu'il jugeait nécessaire pour cesser définitivement les combats. Comme Guirao le craignait, Bedren exigeait une extermination complète des dragons des montagnes.
Et puis vint le tour de Zonthar qui se lança dans une déclaration lourde, pompeuse et, surtout, totalement démesurée compte tenu du rapport de force qui était clairement en sa défaveur.
Ainsi, le roi des Atlans exigeait, sous des formules très compliquées, que les Anlis retirent la totalité de leurs troupes des montagnes du Nord et participent à la réparation de toutes les installations détruites. Ensuite, il s'engageait à laisser les Atlans coloniser et exploiter les terres de la zone frontière en toute sécurité... en échange d'un prélèvement des richesses qui permettrait, selon lui, aux Atlans de mieux contrôler les "éventuelles divagations des dragons sacrés."
Les membres du Grand Conseil n'en croyaient pas leurs oreilles et plusieurs quittèrent même la salle. Zonthar était-il fou ou simplement inconscient de la situation ?
Pourtant, le roi des Atlans était réputé pour être un fin diplomate...
En l'observant bien, ainsi que ceux qui l'entouraient, Guirao fut convaincu que, sous ses airs de démesure, Zonthar déployait une stratégie mûrement réfléchie. Ses conseillers laissaient échapper quelques sourires convenus et ils regardaient le roi faire son numéro.
Guirao essayait d'imaginer quelle pouvait être la stratégie des Atlans...
Pour eux, les négociations dureraient bien trois jours : ils garderaient des prétentions élevées le plus longtemps possible pour ne réellement négocier que le troisième jour. Ils savaient tous que les armées Anlis n'avaient pas cessé d'avancer ces derniers mois : ils prendraient un risque énorme en faisant échouer la rencontre. Par contre, ils pouvaient jouer avec les nerfs de Bedren et du Grand Conseil pour essayer d'obtenir certains avantages non négligeables.
Curieusement, Guirao remarqua que, à aucun moment, il ne fut question ni du meurtre d'Abror ni du vol de son sceptre... Il s'agissait pourtant des événements déclencheurs de la guerre... Sans doute fallait-il éviter ces sujets trop brûlants et, au fond, sans solution possible. Ni Bedren ni Zonthar n'avaient besoin de cela.
Ainsi, tout au long de la matinée, les interventions de Zonthar furent très théâtrales, avec l'objectif évident d'exaspérer ses adversaires : changeant plusieurs fois d'avis, ne voulant aborder que certains des sujets prévus, riant aux éclats à la moindre contradiction... La tension était palpable entre les deux côtés de la table des négociations.
Bedren, lui, restait étonnamment calme : intervenant peu, ferme mais poli sur ses positions, il ne semblait pas mordre à l'hameçon de Zonthar. Mais Guirao imaginait facilement son agacement.
Les discussions furent interrompues en fin de matinée. Chaque délégation put se retirer séparément pour prendre les repas préparés par les domestiques du Palais. Bedren quitta rapidement la salle, avant que Guirao ait pu lui donner son avis sur ce qu'il avait observé.
Par contre, il réussit à croiser Ocaris. Il lui demanda si les rats dont elle avait rêvé s'étaient manifestés.
" Non. J'ai même fait circuler nos chats dans les cuisines et dans les réserves mais ils n'ont pas semblé plus énervés que d'habitude."
Les discussions reprirent en début d'après-midi... dans une ambiance un peu différente de celle du matin.
Zonthar semblait légèrement plus raisonnable et les négociations devinrent plus concrètes. Il insista néanmoins pour que le problème des dragons ne soit traité que le lendemain... Bedren finit par accepter.
Il fut donc question durant toute l'après-midi de redessiner des frontières, établir des points de passage, financer des réparations... Les sujets étaient complexes et Zonthar se montrait particulièrement pointilleux. Guirao l'observait et sentait toujours quelque chose de sournois dans son attitude...
Bedren restait calme et ferme. Zonthar n'arrivait pas à le manipuler comme il le voulait. Le roi des Atlans était-il en train de s'énerver intérieurement de cela ? Avait-il l'intention de faire des concessions avant de tout remettre en question ? Guirao le sentait contrarié mais... il n'avait pas abattu toutes ses cartes.
Au total, les discussions se terminèrent assez tard dans la soirée. Guirao sentait que Bedren était épuisé mais il essaya de lui glisser un avertissement avant de partir.
" - Maître, je ne sais pas vraiment pourquoi mais je pense qu'il faudrait se méfier de...
- Taisez-vous, Guirao ! Ces discussion sont déjà suffisamment éprouvantes et je pense savoir à quoi m'en tenir vis-à-vis de ce vieux fourbe. Bonsoir."