"- C'est énorme, ce que tu as trouvé. Tu te rends compte que ces lettres étaient cachées-là depuis des dizaines d'années ! Tu es peut-être le seul, à part ta grand-mère, à les avoir jamais lues.
- Tiens, regarde, j'en ai gardé une.
- Mais tu es fou ? Si ta grand-mère s'en aperçoit ?
- J'irai la remettre cette nuit. Et j'ai aussi la photo."
Cette fois, Sabine semblait définitivement épatée par l'audace de son camarade. Elle regarda attentivement la photo, puis le visage de Sami. Il lui donna la lettre. Elle appréciait avec ses doigts l'ancienneté du papier qu'elle dépliait lentement. "Je peux la lire ?".
"- Alors, qu'est-ce que tu en penses ?
- Ça me rappelle un film que j'ai vu, il n'y a pas longtemps. Une fille et un garçon qui s'aiment sans que leurs parents soient au courant. Et puis elle tombe enceinte, elle le supplie de se marier mais, lui, il refuse et il part.
- Et ensuite ?
- Ensuite, c'est très dur pour elle. Ses parents la rejettent, elle s'enfuie de chez elle... et elle accouche toute seule dans un hôpital avec une amie. Et ça finit plutôt mal... Ça m'avait impressionné parce que je croyais que tout le monde était content quand un bébé devait naître.
- Oui, mais il faut que le père soit d'accord lui aussi pour élever l'enfant... Sinon ça pose des problèmes.
- En tous les cas, ta grand-mère en voulait beaucoup à ce Roger d'être parti. Elle le traite d'"égoïste"... Lui, il répond qu'il l'avait prévenue. Est-ce que ton père l'a finalement rencontré ?
- Non, je ne crois pas. Ma mère m'a dit qu'il ne sait toujours pas qui c'est.
- Mince. Mais il sait qu'il a le même prénom que lui ?
- ... Je crois que non.
- Tu crois qu'il est mort maintenant ?
- Qui ?
- Mais Roger Vairelles. Peut-être que, un jour, ta grand-mère a appris qu'il était mort, et elle a décidé de ne jamais en parler à ton père pour ne pas lui faire de peine.
- Tu crois ?
- Je ne sais pas. En tout cas, ta grand-mère a dû beaucoup souffrir de devoir accoucher seule et de vivre sans mari, avec un enfant.
- Avec deux enfants... Il y avait aussi ma tante Annie.
- Là, ça devient très compliqué... Et, d'après ce que tu m'as dit, Jeannine a vraiment eu un rôle très bizarre dans toute cette affaire.
- Oui...
- Qu'est-ce que tu as ?
- Je crois que je n'aurais jamais dû lire ces lettres.
- Ça, c'est trop tard..."
Malgré lui, Sami avait l'air au bord des larmes. Sabine le regarda : elle non plus ne mesurait pas vraiment ce qui se passait et elle se sentait gênée de parler de cette affaire qui ne les regardait pas.
Elle comprenait que, pour Sami, cette gêne puisse se transformer en chagrin. Alors, elle s'approcha de lui, posa son bras sur son épaule et l'embrassa doucement sur la joue.
Sami la regarda, un peu surpris. Il avait presque envie de rire...
"- Je trouve que tu as fait quelque chose de super. Jamais je n'aurais osé faire pareil. Tu te rends compte ?... Personne n'avait plus relu ces lettres. Même pas ton père.
- C'est bien ça le problème... Mais, tu sais, c'était la première fois qu'elle laissait la clé sur le secrétaire...
- Allez, viens... On va descendre manger quelque chose..."
Sami reprit sa respiration et ils descendirent dans la cuisine. Comme Jeannine était dans le jardin, Sabine voulut voir le bureau et le secrétaire où tout s'était passé. La clé était toujours là. Ils ouvrirent rapidement le tablier, mais ils ne touchèrent à rien. Sabine regarda quelques photos. Sami lui parla aussi de celle qu'il avait emportée, sur laquelle on le voyait avec sa mère juste après sa naissance. Et puis ils refermèrent le meuble.
Elle lui posa quelques questions sur ce qu'il pensait maintenant de sa grand-mère et de Jeannine. Mais il ne savait pas quoi lui répondre.
"- Demain, je pars quelques jours chez mon père. On se reverra à la fin de la semaine.
- Moi, je crois que ma tante Annie doit passer me voir avec mon cousin.
- Lequel ?
- Thomas. Le plus grand.
- Tu comptes lui montrer ce que tu as trouvé ?
- Ça, je n'en sais rien.
- Bon, mais tu me raconteras tout après, d'accord ?
- D'accord."
Il la raccompagna et, sur le pas de la porte, ce fut lui qui l'embrassa sur la joue. Elle se laissa faire en souriant.
En sortant, elle croisa la grand-mère de Sami qui rentrait enfin. Elle expliqua à son petit-fils qu'elle avait passé la journée chez sa fille - la tante Annie - et elle confirma sa visite pour le lendemain matin.
4h44