Le Venin
La nonne gitane (la "monja gitana") est un personnage familier pour ceux qui écoutent encore les vieilles chansons des marins et des corsaires d'Amérique du Sud...
Combien de fois sa véritable histoire a-t-elle pu être racontée, avant de disparaître peu à peu dans la fumée des anciennes tavernes ?
"Approchez-vous tous, bande d'ivrognes et de bouseux !!!
Mais si vous voulez que Giorgio vous en raconte une, il va falloir vous la fermer et bien ouvrir vos oreilles. (Il finit son verre et monte sur une table) Car Giorgio parle fort, mais il ne répète pas... Et je vous avertis que j'ai suffisamment bu ce soir pour démolir le premier qui aurait l'idée de m'interrompre !! (Rires, sifflets) D'accord... Je vois déjà à quelle sorte de dégénérés j'ai à faire ce soir... (Sifflets) Alors je vais fermer les yeux... Je vais fermer les yeux pour ne plus voir vos tronches et laisser les souvenirs me revenir tout seuls... (Il attend quelques instants) Voilà.
(A voix forte) Qui, parmi vous, connaît l'histoire de Federico Mendosa, marin fou retrouvé mort voilà plus de douze ans ?? Égorgé... Égorgé et laissé crucifié comme un Christ à la porte des bas quartiers de Santa Cruz. ("Le Christ de Santa Cruz ! Taisez-vous !") Qui parmi vous connaît son histoire ?... Personne ? C'est vrai. Vous, vous ne connaissez rien qui ne sorte du cul de votre bouteille. ("Ou de celui de ta femme, pas vrai, Giorgio ?!")
Tiens ? Voilà le premier qui mériterait que je lui explose la cervelle, pour lui apprendre la politesse... (Il ouvre les pans de sa veste et laisse apparaître une crosse de pistolet dépassant de sa ceinture. Tout le monde se tait) Ortéga, c'est toi, n'est-ce pas ? Ta vie ne vaut sûrement pas assez cher pour que je gaspille une balle. Mais ne me tente pas une seconde fois... ("Il est fou ce type.") Quant à ma femme, elle m'a chargé de te dire que tu ne lui as laissé aucun souvenir qui lui permette un jour de te reconnaître. (Rires) Tu parles de femmes... Les femmes portent l'amour. Elles portent le désir et la vie. Mais dis-toi bien que certaines portent en elles le venin, et la mort.
Celles que vous croisez, matelots, ne sont là que pour votre plaisir mais, si une seule en venait à vous embrasser et à passer la main dans votre cou, alors une caresse ou poignard pourrait bien s'abattre sur vous et rendre, tout à coup, votre existence moins difficile à porter...
Tu entends, Ortéga !? Ferme-la et peut-être que, ce soir, tu apprendras quelque chose. (Il descend de la table et se ressert à boire) "